Le 31 août, les Américains arrivent à Lérouville par les routes de Chonville et de Commercy. Un train, chargé de chars allemands se trouve en gare. II cherche à échapper aux blindés alliés en allant se réfugier sur une voie secondaire qui le mènera à la petite gare de Sampigny. Là, les chars sont débarqués des wagons et, les uns après les autres, ils prennent la direction de Mécrin pour remonter ensuite à travers champs, sur la côte de Boncourt et se retrouver finalement sur la route de Saint-Julien. II est alors 11 heures du soir.

Pendant ce temps, les Américains, dont la mission était d'établir le plus tôt possible une tête de pont sur la rive droite de la Meuse, franchissent le fleuve à Pont-sur-Meuse et se dirigent vers Boncourt. Arrivés à l'entrée du village, ils sont accueillis par une foule enthousiaste et par un groupe de résistants d'une vingtaine d'hommes. Le convoi va alors se diriger sur la côte orientale de la trouée de Boncourt, sur le plateau de Filemont devant le Jurieux. Là, fatigués et en attente d'intendance, ils s'installent pour la nuit, ayant caché chars, half-tracks et jeeps dans la végétation environnante.

Les résistants, eux, ne restent pas inactifs et, stimulés par l'arrivée inattendue des libérateurs, ils se lancent à la poursuite des Allemands. Ils prennent d'abord le poste de garde du pont de chemin de fer, territoire de Boncourt, ligne 11. Les Allemands, du reste, ne les ont pas attendus : ils ont disparu. Ainsi le pont est sauvé. Ensuite les résistants décident d'investir le camp allemand situé sur les hauteurs au nord de Boncourt. II s'agit d'un centre de repérage d'avions avec des radars, pour annoncer à la D.C.A. de la région de Metz, l'approche de vagues d'avions alliés allant bombarder l'Allemagne. Les bombardiers, pour échapper aux radars, larguaient dans la région une quantité énorme de morceaux de papier d'aluminium et, parfois, des champs entiers disparaissaient sous une véritable couverture d'aluminium, avec de temps en temps des journaux et des tracts donnant à la population les dernières informations sur l'évolution de la situation. Sans grande difficulté, les F.F.I. se rendent maîtres du camp ennemi : en effet, les Allemands, des hommes d'un certain âge, n'ont pas l'intention de résister; ils se sauvent dans les bois environnants. Armes et munitions sont alors récupérées. Une mitrailleuse sera même ramenée et installée à l'entrée du village. Enfin les habitants vivent leur première nuit de liberté retrouvée.

Vers 2 heures du matin, la colonne de chars qui se trouve sur la route de Saint-Julien fait mouvement vers Boncourt. Elle atteint la première maison du village. Là, on n'est pas couché, on veille encore. Un groupe de S.S. pénètre dans la maison. II se trouve face à face avec des F.F.I. Les Allemands ouvrent le feu et exécutent sur le champ tous les hommes présents. Sont tués à ce moment-là : le maître de maison Emile Brillant, 44 ans, et 4 F.F.I. : René Condé 33 ans de Commercy, Henri Théophile Reisenbursch 37 ans, André Robert 33 ans et Pierre Marey 35 ans, tous trois de Vignot.

Plus loin dans le village, les époux Gall, d'origine alsacienne, prennent peur en entendant de fortes détonations. Ils se réfugient avec leurs enfants dans la cave de Marcel Simon en face de chez eux. Là se trouvent déjà les familles Marchal et Pointeaux. II fait presque jour maintenant. On entend du bruit à l'extérieur. Emile Simon fils grimpe l'escalier de la cave, voit un soldat en kaki et s'écrie : " V'la les Américains!" Il n'a pas le temps d'en dire plus, une rafale d'arme automatique le tue sur le coup. Henri Briffaut, qui le suit, réussit à dévier l'arme et à s'échapper. Des grenades sont alors lancées dans la cave.

Pierre Marchal témoigne :

Les Allemands, eux, ont traversé la rue et ont pénétré chez Emile Simon, 68 ans, père et grand-père des victimes Tout à coup, je sens un projectile heurter le bas de mon dos; je saisis l'objet pour le projeter au loin, c'est trop tard, c'est une grenade; elle éclate, ma main droite est déchiquetée et je ressens des brûlures au niveau de ma tête et de mes jambes. Maman, Mme Marchal Marie-Louise, Mme Marie Simon et le jeune Gall sont blessés également. A côté de moi, Yvette Simon est gravement atteinte. Mme Gall essaie de parlementer avec les Allemands alors que nous quittons la cave. L'officier est menaçant, il aligne tout le monde contre le mur d'enceinte. Après un simulacre d'exécution, il charge un subalterne de nous surveiller. Ce dernier n'est sans doute pas insensible à nos souffrances car il nous fait bientôt signe de nous sauver. Alors, avec plus ou moins de difficultés, selon nos blessures, nous fuyons tous par les jardins en direction de Lérouville.. Je ne sens même plus ma main que j'ai emballée dans mes vêtements pour arrêter l'hémorragie.

Les Allemands, eux, ont traversé la rue et ont pénétré chez Emile Simon, 68 ans, père et grand-père des victimes de la cave. Ils le sortent du lit, le traînent dans la Chavée, petit chemin derrière chez lui, et là, sans raison, ils le tuent.


Le jour de la communion solennelle de Pierre Marchal en mai 1941 à Boncourt. A sa droite, Yvette Simon, mortellement blessée dans la cave de son père. Au centre, M. Marchal, père de Pierre. A droite, Simon Marchal, propriétaire de la cave où a eu lieu le drame.

 

Des incendies éclatent ici et là dans le village. Six maisons seront totalement détruites et plusieurs endommagées. D'autres habitants, réfugiés aussi dans des caves, passent des heures terribles. Dans celle de Mme Labourasse, en haut du village, côté nord, les réfugiés échappent de peu à la mort. Un Allemand, venu pour les massacrer avec un fusil mitrailleur, est abattu par les Américains à l'entrée de la cave. Ces derniers interviennent enfin dans Boncourt et libèrent définitivement le village. La nuit de terreur prend fin, mais pas les souffrances ni les larmes.

II est 10 heures du matin et nous sommes le premier septembre 1944. Le bilan est lourd puisqu'au total 9 personnes ont perdu la vie à Boncourt la nuit de la libération. ( On a découvert, 2 jours plus tard, le corps du jeune Gaston Vibler âgé de 16 ans, fils du cafetier; il avait été emmené par les Allemands et exécuté dans la forêt d'Apremont. D'autres habitants, emmenés également, ont pu eux, regagner le village sains et saufs).

Pierre Marchal, à qui nous devons ce témoignage s'enfuit à pied à Lérouville avec son père. Ce dernier trouvera chez Robin un vélo et une remorque. C'est dans cette remorque que Pierre rejoindra l'hôpital de Commercy où il sera soigné. Pierre n'oubliera jamais ce drame qui n'a pas épargné des enfants : à 15 ans il a été handicapé à vie, puisqu'il a perdu l'usage de sa main droite. Plus terrible encore, sa voisine et amie Yvette, une enfant de 8 ans, a perdu la vie.


Monument aux Morts de Boncourt-sur-Meuse

 


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